D’espoir à obstacle : AOC, le problème de la gauche américaine.
Le New York Times présente AOC en mentor de Mamdani. En réalité, elle canalise, recentre et enferme la gauche dans les codes du Parti démocrate.
Le New York Times adore raconter des histoires édifiantes. Dans son papier sur l’alliance entre Alexandria Ocasio-Cortez et Zohran Mamdani, on nous sert une fable : la grande sœur bienveillante et l’élève prometteur. Elle distribue des conseils de santé mentale et des pastilles pour la gorge, il lui apprend à devenir « sérieux ». Derrière l’anecdote, une opération politique : transformer Mamdani en candidat discipliné.
La fabrique de la respectabilité
Le récit présenté comme tendre (une AOC inquiète qui finit par se rallier) cache une dynamique plus dure : celle d’une gauche institutionnelle qui impose ses règles. L’article du Times montre bien le mécanisme. Quand Mamdani se préparait pour un débat crucial contre Andrew Cuomo, AOC a envoyé son chef de cabinet jouer le rôle de Cuomo pour l’entraîner. Quand elle l’a officiellement endossé, elle a précisé publiquement avoir « clarifié ses attentes » quant à la manière dont il devrait gouverner s’il gagnait. Et dans leurs échanges privés, c’est elle qui lui donne les plus mauvais conseils: rencontrer Bloomberg et adoucir son discours sur Defund the Police. Tout cela est présenté comme des gestes de solidarité. En réalité, c’est une mise sous tutelle.
AOC, de l’irruption à l’intégration
Il faut le rappeler : AOC a été élue en 2018 en brisant toutes les règles du jeu, face à Joseph Crowley. Mais depuis, son parcours s’est normalisé. Butch Ware, ancien candidat à la vice-présidence sur le ticket du Green Party, l’a surnommée AOC Pelosi. L’article note qu’elle envisage une candidature nationale en 2028. Elle a déjà soutenu Biden-Harris en 2024, entretenu des relations de travail avec des modérés, et s’est brouillée avec le DSA national sur la question de la Palestine, au point d’être désavouée par une motion de censure. Aujourd’hui, son horizon est clair : se présenter comme une candidate « responsable » aux yeux du système. Et cette stratégie personnelle devient une camisole collective pour la gauche.
Neutraliser Mamdani avant même qu’il gouverne
Mamdani, lui, a bâti sa légitimité dans le mouvement. Le Times souligne qu’il est considéré comme « l’architecte du projet socialiste à Albany », et rappelle son rôle dans la campagne de Tiffany Cabán pour le poste de DA, ou son soutien aux chauffeurs de taxi endettés. Sa trajectoire vient d’en bas, d’un travail patient sur le terrain. Pourtant, l’article raconte sa victoire à travers AOC : une scène nocturne où ils se retrouvent seuls dans une voiture à Queens pour « digérer » le résultat. Comme si l’événement ne pouvait exister qu’avec elle dans le cadre. Même sa campagne victorieuse est ainsi recadrée comme un moment partagé avec la grande sœur.
Le poids des ambitions personnelles
AOC n’agit pas par malveillance. Elle agit en fonction de son calcul politique. Mais ce calcul, centré sur 2028, l’éloigne des besoins réels des luttes. Chaque fois qu’elle joue les stratèges pour Mamdani, elle ne l’aide pas à être plus fort, elle l’aide à être plus acceptable pour ceux qu’il est censé combattre. Le Times insiste sur son rôle de « tacticienne », de figure qui sait « quand frapper », comme le dit Nydia Velázquez. En d’autres termes : c’est elle qui décide du tempo, pas le mouvement qui porte Mamdani. Elle reproduit le rôle que les Clinton jouaient jadis pour les jeunes élus démocrates : le parrainage en échange de la docilité.
La gauche à un tournant
C’est ça, le vrai problème. Si la gauche accepte que chaque percée populaire soit filtrée, encadrée, « recentrée » par ses propres stars institutionnelles, alors elle se condamne à rejouer éternellement le même scénario : une énergie militante immense, absorbée, puis dissipée dans les logiques du Parti démocrate. Mamdani peut être plus qu’un symbole. Il peut être le point de bascule. Mais à condition de refuser cette tutelle qui l’éloigne déjà de son propre programme.
Conclusion : l’urgence d’une autonomie
La gauche américaine n’a pas besoin d’une grande sœur à Washington mais d’élus qui assument pleinement la rupture. AOC fut une ouverture en 2018. En 2025, elle est devenue un verrou. Le danger majeur pour la campagne Mamdani n’est pas Cuomo ni Bloomberg, mais la domestication de son projet par ceux censés l’appuyer. S’il veut incarner un véritable basculement, il devra s’affranchir de cette tutelle.




